Le 31e Bistrot de l'Histoire
"1940 : le camp d'internement des Tziganes de Plénée-Jugon sorti de l'oubli"

Retour au site mémoire


Le son se lance tout seul avec mozilla mais sur internet explorer appuyez sur le bouton lecture

 

Pendant 2 mois, ils subirent sévices, brimades puis furent transférés à Coudrecieux (Manche), Mulsanne (Sarthe), Montreuil-Bellay, Jargeau puis Angoulême, avant d'être libérés en 1946!

Pendant la soirée, animé par Pierre Fenard, réalisateur des Bistrots de l'Histoire, assisté de Cécile Verdin, psychanalyste, la parole sera donnée à des descendants d'internés qui s'exprimeront sur cette période que chacun s'était, jusque là, attaché à oublier. Poleth Wadbled, sociologue spécialisée dans l'internement et Marie-Christine Hubert, historienne et co-auteur de l'ouvrage "Les Tziganes en France, un sort à part 1939-1946", seront présentes sur le plateau afin d'apporter leur éclairage scientifique sur la question. Deux films seront diffusés pendant la soirée, celui de Raphaël Pilloso "Des Français sans histoire" et des extraits de celui d'Isabelle Rettig sur les internés de Coray.

La musique, partie intégrante de la culture tzigane, sera omniprésente pendant toute la soirée, interprétée par Jean Ferret et Dady Ferdoil, oncle et neveu. Cette soirée sera précédée d'une cérémonie organisée par la mairie de Plénée-Jugon, à la mémoire des Tziganes internés, pendant laquelle une stèle sera dévoilée, rue de la République. le programme en pdf

MONIQUE NOUVEAU TEMOIN AU BISTROT INTERNEMENT TZIGANES 194O A PLENEE JUGON Autorise l'association des bistrots de vie du pays briochin à diffuser son texte sur le site internet bistrots de l'histoire.com qui fut diffusé en enregistrement sonore entrecoupé de séquences guitares .en direct . .

Mon grand’père Charles et ma grand’mère Alphonsine ont été internés fin octobre 1940 au camp de Plénéé Jugon, avec leurs 2 enfants : Albert et Rachelle ; Rachelle, ma mère, a eu 4 ans dans ce 1er camp.

Ma famille a été transférée avec la roulotte, au camp de la Pierre à Coudrecieux dans la Sarthe, le 20 novembre 1940.
Peut-être est-ce de ce camp que Charles et Albert avaient essayé de s’évader, ils racontaient : une nuit dans une barque sur un étang, ils avaient chié dans leur froc tellement ils avaient peur d’être attrapé,c’étaient pourtant pas des trouillards ces deux-là… mais ils avaient été repris.
On retrouve trace du mariage civil de mes grands-parents à Coudrecieux, le 26 août1941, sans doute pour garantir légalement l’unité de leur famille.

Le « petit frère Charles » est né au camp de Coudrecieux le 21 décembre 1941. Puis domicilié au camp de Montreuil Bellay, il est mort à l’Hôtel Dieu d’Angers le 18 décembre 1943. Ma mère racontait qu’il pleurait toujours et avait des « crises » et que les « allemands » ? pour le calmer lui mettaient la tête dans une bassine d’eau et qu’à force il en était mort. Comment interpréter ces souvenirs ? …Et consoler ce chagrin. Pauvre petit Jésus sans gloire…….

Puis nous avons retrouvé trace du mariage religieux de mes grands-parents à la chapelle du camp des nomades de Montreuil Bellay le 25 février 1944.
Peut-être est-ce de ce camp que ma mère avait le plus de souvenirs :
-dans les camps, les femmes étaient embauchées pour éplucher les légumes, elles essayaient de faire les plus grosses épluchures possibles car elles avaient le droit de les ramener avec elles pour les cuire à leurs enfants.
-en hiver, ils essayaient de se protéger les pieds du froid en les emballant dans du papier journal et des vieux « pillous ».
-ma mère racontait aussi qu’un jour dans le camp (sans doute à Montreuil ?) tout le monde s’était mis à courir, une femme s’était jetée sur elle, il y avait eu un bombardement. Quand ça avait été fini, elle s’est dégagée, la femme sur elle était morte et l’avait sauvée du bombardement. Est-ce que ce souvenir correspond à des faits historiques ? Quand cela se passait-il ? Peut-on retrouver le nom de cette femme, de sa famille pour leur témoigner de notre gratitude d’avoir ainsi protégé notre maman, alors toute petite fille.

Puis notre famille a été transférée de Montreuil Bellay au camp des Alliers à Angoulême, le 17 janvier 1945.
C’est dans ce camp qu’est née leur dernier enfant, ma tante « Tata », le 1er mai 1945. Elle est la dernière représentante vivante de la génération de ma mère. Tata est née prématurément, ma mère se souvient qu’elle la voyait dans une bulle.
Ma mère était soulagée que sa petite sœur n’avait pas encore de cheveux comme ça elle ne souffrait pas avec les poux. Il y en avait tellement dans la chevelure de ma mère que quand ma grand’mère y regardait, elle criait : on voit tes os, on voit tes os du crâne !

Ils sont sortis des camps vraisemblablement au printemps-été 1946, un an après la fin des hostilités.
Internés pour cause de nomadisme et trimballés dans 4 ou 5 camps de l’ouest de la France, voilà ce que fut l’enfance de ma petite maman de ses 4 ans à ses 9 ans et demi.
Au nom de quoi on a le droit de faire ça ?
La défense de la patrie ?
Et combien de temps faudra t’il attendre encore pour que les souffrances des nôtres soient reconnues au même titre que celles infligées aux victimes de la guerre et de la barbarie humaine ?
Y aurait-il des souffrances plus dignes de respect que d’autres ?


Quand ils sont sortis des camps, ils n’avaient plus rien, étaient dans un état lamentable, ma grand’mère tirait une petite carriole de rémouleur, bien souvent malmenée par mon grand père devenu violent. Ils dormaient dans des granges et des fossés.

Puis ma famille fut momentanément sédentarisée par les services sociaux à Dinard, dans une maison à étages, un hôtel ? Ma mère fut défenestrée du 1er étage par mon grand père. Suite à ça, ma mère et Tata ont été retirées de leurs parents, ma mère avait 12 ans et Tata 3 ans, elles ont été placées à Plancoët chez les « bonnes sœurs » qui ont rebaptisé ma mère Geneviève, ma grand’mère ne pouvant fournir par des papiers les preuves de son baptême catholique.
Un deuxième internement commençait, pour leur sécurité matérielle, c’est vrai. Mais les religieuses ont établi l’intégration sociale et culturelle de ma mère et de ma tante en leur inculquant la honte de leurs origines. Ma mère, ça la rendait plutôt enragée : t’as du en baver, ma pauv’ maman.
Au pensionnat, les parents des enfants étaient reçus au parloir. Mais pas mes grands parents pour qui on sortait un banc dehors et on appelait : « les p’tites bohémiennes, venez, vos parents sont là. On leur faisait honte.
Quand il y avait des sorties scolaires ou les vacances à St Jacut de la mer, dès que les filles du pensionnat voyaient des bohémiens, elles appelaient ma mère et ma tante pour leur faire honte, alors, elles, elles essayaient de se cacher dans les rangs pour se protéger de cette honte, pas pour renier leurs parents à qui elles continuaient d’être attachées.
Ma mère disait toujours que quand leur mère venait les voir, elle était saoule et elle pleurait « mes enfants, c’était ma seule richesse et on me les a pris ». Moi, j’estime qu’on nous a volé une partie de nos racines.
Nous n’avons pas connu nos grands parents maternels, ni jamais vu de photo d’eux. J’aimerais tant connaître le visage de ma p’tite grand’mère Alphonsine et le grand Charles, un bel homme, il paraît, toujours bien mis, en dehors de l’alcool.
Je les honore parce qu’ils ont réussi à rester en vie malgré tous leurs malheurs.

A 18 ans, ma mère a été placée comme « bonne » chez des bourgeois de St Brieuc. Au bal du samedi soir, elle a rencontré mon père, nordiste, en formation AFPA à Langueux. Coup de foudre et belle histoire d’amour. Pour mon père, Rachelle-Geneviève est devenue Ginou, petit diminutif affectueux que lui avait donné mon père.
Nouveau départ pour le nord de la France avec l’espoir d’une « belle famille » respectable qui l’adopterait .Mon père et ma mère ont fondé une famille cocon où ma mère a connu un grand bonheur, je le crois sincèrement, avec mon père et nous trois, leurs filles, pendant 15 ans, jusqu’à ce que les oiseaux commencent à quitter le nid.
Quand j’ai eu 18 ans, j’ai pris mon sac à dos, mes chaussures de marche et mon pouce pour le stop et la route et l’aventure.
Pour ma mère, ça a été le début du naufrage, les fantômes du passé sont revenus, dépression profonde et crises « d’absences » ?
Elle s’est suicidée le 25 avril 1983.
Quand ma tante, Tata raconte des souvenirs de sa jeunesse, ses yeux coulent librement comme des fontaines publiques : je n’en reviens pas encore qu’avec les vies qu’on a eues, on s’en est sorti, on a réussi. A chaque fois que j’y pense, j’en reviens pas ! dit-elle.
Moi aussi, je ressens ça pour ma propre vie, alors que je n’ai pas vécu tous leurs malheurs.
J’ai longtemps cru que c’était normal qu’on ait une vie difficile, qu’on soit une famille de « maboulles » comme dit ma sœur aînée Bernadette et que c’était de notre faute qu’on soit comme ça.
Je pensais : les autres, ils réussissent parce qu’ils viennent de familles normales, bien établies, nous on est comme personne, ni comme les gadgés , ni comme les bohémiens, on ne peut être que rejetés de tout le monde. Même dans ma propre famille, je ne me sentais pas comme les autres. Il n’y a que récemment depuis environ un an que j’ai commencé à parler de tout ça avec ma sœur Bernadette, et que j’ai commencé à comprendre que ce qui était anormal c’était ce qu’on avait fait vivre à ma mère et à ma famille.
Il a fallu que nous atteignions la cinquantaine, Bernadette et moi, pour prendre conscience combien tout cela nous habitait depuis toujours et nous appartenait en héritage. Et en commençant à gratter les souvenirs, nous rendre compte que tout s’était cristallisé sur cette période d’internement de notre mère entre ses 4 et 9 ans1/2 : une souffrance à l’état pur, de mort physique et psychique que nous avons portée jusqu’à présent sans en avoir vraiment conscience
En nous donnant la parole, le bistrot de l’histoire nous aide à transformer la situation : de porte-souffrance en porte-parole.
Ma sœur Bernadette souhaite demander réparation à l’Etat Français pour les années d’internement endurées par notre mère. Puisse cette soirée être le démarrage de cette démarche.
En partage avec cette assemblée ce soir, du pire je ne veux garder que le meilleur : la vitalité, l’intuition, l’humanité et la générosité que nous avons connu en notre mère.
Et la joie de vivre, envers et contre tout. « Je veux repartir comme un chant qui s’obstine » Lannebert le 11 octobre 2010

Réaction suite au bistrot...

" le bistrot de l'histoire du 12 novembre sur l'internement des tziganes à Plenée jugon était vraiment très très bien
les témoignages supers.......ça prenait aux tripes.......un moment d'une grande émotion
et les musiciens....quel plaisir ......pour les oreilles mais aussi pour les yeux de voir la façon avec laquelle ils maîtrisent ça ......c'était vraiment génial......je n'ai pas osé aller leur dire tout ça mais il faudra le leur transmettre.....un très beau moment "

Servane

...

" Le témoignage qui m'a "fait craqué"...celui de cette Dame, en enregistrement sonore uniquement, et qui de temps en temps, au milieu d'une phrase, se mettait à chanter... et l'on entendait dans la voix de cette Dame la voix pétillante d'une enfant et aussi, en même temps, le chagrin d'une vie.

Et la façon dont vous avez organisé le "plateau", les lumières, la musique... c'était beau, intime et...emprunt de beaucoup de respect et de... je ne sais pas le mot. "

 

Amélie

 

" La Commémoration des camps d'internement de gens du voyage sous l'occupation (et trop longtemps aprés) dépassait la signification d'une commémoration . Il se fait une réactivation des préjugés contre eux , qualifiés improprement de Roms pour mettre dans la meme sac toutes les catégories ,avec les Roumains expulsés . Sarko a agité là un trés vieux ressort ,et des gens le relancent souterrainement ,genre café du commerce ,peut etre par Internet ? entre autr'es . Inutile de chercher qui fait ça ,les assos périphériques du FN sont infiltrées depuis longtemps partout on peut dire n'importe quoi sans etre contredit.
Le Bistrot de l'Histoire a été un beau spectacle historique, bien bouclé .Le terme de Bistrot impliquerait me semble -il , un temps de débat . Mais le caractère fortement émouvant des témoignages présentés ne favorisait pas l'expression spontanée .
Je tiens à souligner l'intéret du montage qui a été présenté .Démonstration d'Histoire en train de s élaborer, alors qu'il n'y a presque plus de témoins directs .Normalement et presque par définition ,l'Histoire s'écrit à partir de textes, que l'on recueille , que l'on situe dans leur temps et leur contexte , qu'on rassemble et compare pour évaluer leur véracité et leur valeur documentaire . Ici il n'y a guère que quelques courriers administratifs , des ordres et des rapports d'exécution ;trés peu de memoires déjà rédigés par des érudits locaux . Pour le concret ,quelques vieilles photos ,de lieux détruits sauf les batiments anciens réquisitionnés à l'epoque . Les temoignages oraux que les techniques du 20°s auraient permis de rassembler , sont enfouis sous la souffrance , des décés précoces , une culture qui ne favorise pas l'évocation d'un passé familial trop dur . Quelques uns parviennent à raconter , encore fallait-il les trouver pour ls solliciter . Les jeunes chercheurs participants à cette présentation ont encore du travail à faire .
La comparaison avec les Centres de Rétention actuels s'imposait ,sachant que comparer n'est pas déclarer identique . Ces camps pour "nomades" n'étaient pas des comps de la mort ;pourtant il est rapporté que vieillards et enfants y sont morts, de maladie et de sous-alimentation ,communément . Dans les Centres de Rétention les suicides ne sont pas rares ,mais on peut y mourir de maladie . Il s'y trouve des enfants de tous ages , alors que la loi interdit d'incarcérer des moins de 13ans : c'est par humanité que l'on enferme les petits enfants avec leurs parents , et qu'on les expulse ensemble meme si des enfants sont nés en France ( ce qui ne les rend pas français, rappelons le) . On a insisté sur le "carnet anthropométrique " humiliant et grotesque ,avec les empreintes des deux mains ,imposé aux nomades dans les années 40 et encore longtemps ensuite .Aujourdhui les étrangers dés leur arrivée en France, ou dans un pays d'Europe , sont obligés de poser dans des appareils qui les mémorisent et les comparent , l'empreinte de leurs mains entières ;et on a failli leur demander leur empreinte ADN, le scandale et la difficulté technique y ont fait renoncer ;le but est semblable : controler les déplacements de personnes qu'on considère a priori comme délinquants ou fraudeurs " t .

Nicole

...

Je souhaite vous dire que j'ai beaucoup apprécié d'être présente hier à PLénée Jugon. Ce fût un moment symbolique très fort, très dense et la force du témoignage de Monique et Bernadette est un très beau cadeau à l'humanité, à l'humanisme, à nous tous personnes humaines.

Merci à tous ceux qui ont mis de la belle énergie pour faire que ce moment soit un moment essentiel de la vie de nos amis " Les gens du voyage " et une reconnaissance pleine et entière de ce que leurs familles, amis, ... , ont vécu pendant la guerre 39 - 45, ...

Ce fût un moment essentiel de notre vie de l'entendre, de le vivre, de le reconnaître, de soulever la chappe de silence et de souffrances qu'ils ont portées et tues depuis si longtemps.

Leur permettre enfin de poursuivre leur chemin de vie,apaisés, avec leurs différences, leurs si belles richesses complémentaires, de faire leur choix, de faire vivre leur culture, comme chaque être humain que nous sommes avons le droit ...

Merci au père de Gino et à ses amis d'avoir su apaiser ces moments d'émotions très forts et d'avoir partagé avec nous leur culture pleine de belles ouvertures, de gaieté, de légèreté et de gravité aussi.

Merci à vous tous.

Marie Annick Guillou

P.S. Je pense à ma grand - mère petite fille qui me racontait que lorsqu'elle était à l'école ... elle recevait des coups de règles sur la tête, sur le corps,elle était punie, baillonnée ... lorsqu'elle parlait le breton ... Elle ne savait parler que le breton !!!! Elle avait 6 - 7 ans.

Oui effectivement, nous avons à être plus que vigilants pour nos Amis les Gens du voyage et nous engager pleinement pour tout acte ne respectant pas la Dignité Humaine, les Droits de l'Homme.

Chaque personne humaine a le droit d' être respecté, le droit de vivre pleinement ses différences, sa culture, ses choix de vie sans discrimination AUCUNE !!!

...