par Marie-Christine HUBERT
En France, les persécutions contre les Tsiganes ont commencé
bien avant l'Occupation allemande.
Dès les mois de septembre et octobre 1939, la circulation des
nomades(1) est interdite dans plusieurs départements. En Indre-et-Loire,
les nomades sont même expulsés. Le 6 avril 1940, un décret-loi
interdit la circulation des nomades sur l'ensemble du territoire métropolitain
pendant toute la durée de la guerre. Comme pendant la première
guerre mondiale, ils sont soupçonnés d'espionnage.
Le ministère de l'Intérieur charge les préfets
de les assigner à résidence en dehors des agglomérations
mais à proximité d'une brigade de gendarmerie. L'invasion
allemande ne permet pas l'application du décret dans tous les
départements.

Fresque trouvée au camp
de Coudrecieux (photo Raphaël Pillosio)
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Les Tsiganes d'Alsace-Lorraine
sont les premières victimes de l'Occupant qui les expulsent,
dès juillet 1940, vers la zone libre où ils sont
progressivement internés dans les camps d'Argelès-sur-Mer,
Barcarès et Rivesaltes avant d'être transférés
en novembre 1942 dans le camp de Saliers (Bouches-du-Rhône)
spécialement créé par le gouvernement de
Vichy pour l'internement des Tsiganes. En zone occupée,
une ordonnance allemande du 4
octobre 1940 exige leur internement dans des camps administrés
et surveillés par les autorités françaises.
Dans chaque département, les préfets demandent
à la gendarmerie de recenser puis de regrouper les nomades
et de les surveiller.
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La plupart des familles qui sont
alors internées ont été assignées à
résidence en avril 1940.
Dans un premier temps, les Tsiganes sont regroupés dans des
lieux très hétéroclites : un château désaffecté,
une carrière ou un ancien cinéma.
L'ordonnance allemande du 22 novembre 1940 interdisant l'exercice
des professions ambulantes dans 21 départements de l'Ouest
de la France permet l'arrestation de nouveaux nomades et forains que
les Allemands assimilent aux Tsiganes contrairement aux autorités
françaises.
Les Tsiganes circulant en Charente et Charente-Inférieure sont
internés dans le camp des Alliers à Angoulême.
Le 27 novembre, 201 nomades refoulés de la Seine-Inférieure
se trouvent détenus à Linas-Montlhéry dans la
Seine-et-Oise. Devant l'afflux des internés, les petits camps
installés dans l'urgence et la précarité en octobre
sont remplacés par des camps plus structurés. A la fin
du mois de décembre 1940, environ 1700 nomades et forains étaient
internés dans 10 camps.
Dans l'Est de la France, les Tsiganes subissent l'internement à
partir du mois d'avril 1941.
A l'automne 1941, environ 3 200 personnes étaient internées
dans 15 camps. Les plus importants se situent à Jargeau (Loiret),
Poitiers (Vienne), Moisdon-la-Rivière (Loire-Atlantique) et
Coudrecieux (Sarthe).
En novembre 1941, les Allemands décident de réorganiser
l'ensemble des camps d'internement pour nomades - appellation officielle
-, afin de réduire les frais de fonctionnement et pallier le
manque de personnel de surveillance. Les internés sont transférés
dans des camps à vocation régionale.
De nombreux forains obtiennent à cette occasion leur libération.
Des familles sont libérées tout en étant assignées
à résidence tandis que d'autres connaissent à
nouveau la détention dans de nouveaux camps. Des Tsiganes ont
ainsi connu 4 ou 5 camps d'internement. L'internement comme la libération
dépendaient du bon vouloir des autorités françaises
et allemandes. Il n'y avait pas de politique globale mais des décisions
discrétionnaires.
Le plus grand camp d'internement pour nomades, le camp de Montreuil-Bellay
(Maine-et-Loire) entre en service le 8 novembre 1941. Ses internés
proviennent de quatre camps. L'effectif le plus élevé
est atteint le 18 août 1942 avec 1 018 internés.
Les derniers Tsiganes ne furent libérés du camp des
Alliers qu'à la fin du mois de mai 1946 lorsque le décret
de cessation des hostilités abrogea le décret d'assignation
à résidence auquel les autorités issues de la
Libération se sont référées pour cautionner
l'internement des nomades.
Environ 6 500 hommes, femmes et enfants ont été internés
entre 1940 et 1946 dans 30 camps d'internement français en
raison de leur appartenance réelle ou supposée au peuple
tsigane.
Les familles ont vécu ces 6 années dans la plus grande
précarité matérielle et morale.
Leur sort ne suscita que de l'indifférence tant de la part
de la population française que des uvres caritatives
pourtant très présentes dans les camps d'internement.
On ne reconnut aux Tsiganes que le droit d'être internés
en famille, les hommes étant rarement séparés
de leurs femmes et leurs enfants.
Cette sédentarisation forcée
servit aux autorités françaises qui tentèrent
de socialiser les Tsiganes.
Les adultes furent obligés de travailler pour des entreprises
françaises mais aussi allemandes dans le cadre de l'organisation
Todt ou le Service du Travail Obligatoire. On scolarisa les enfants,
souvent dans l'enceinte même du camp. L'accent fut également
mis sur leur éducation religieuse. Dans les cas les plus extrêmes,
les enfants furent séparés de leurs parents et placés
à l'Assistance Publique ou dans des institutions religieuses
pour les extraire définitivement d'un milieu jugé pernicieux.
Lorsqu'ils étaient libérés, les Tsiganes se trouvaient
en but au mieux à l'indifférence au pire à l'hostilité
des populations. Ils regagnaient seuls et à pied le lieu où
ils avaient été arrêtés en espérant
retrouver leur roulotte et le peu de biens qu'ils possédaient.
La plupart n'ont rien récupéré et durent recommencer
leur vie à zéro. Nombre d'entre eux n'ont eu d'autre
choix que de se sédentariser.
Bien que les Tsiganes de France aient échappé à
l'Auschwitz Erlass du 16 décembre 1942 qui ordonnait la déportation
à Auschwitz des Tsiganes du Grand Reich, un certain nombre
connut les camps de concentration et d'extermination nazis. Des hommes
furent déportés en Allemagne comme en 1943 depuis le
camp de Poitiers après avoir été livrés
aux Allemands par les autorités françaises qui pensaient
ainsi remplir les quotas de travailleurs qu'exigeaient les autorités
d'occupation dans le cadre du Service du Travail Obligatoire. Des
familles furent raflées par les Allemands comme celles qui
vivaient dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais.
Après la guerre, rares furent les Tsiganes qui ont obtenu une
carte d'interné ou de déporté politique, les
démarches administratives étant insurmontables pour
des gens illettrés et plus méfiants que jamais envers
l'Administration française. Ils n'ont ainsi reçu aucune
indemnisation pour les années passées dans les camps
français, ni même de compensation morale puisque cette
réalité n'a laissé aucune trace dans la mémoire
collective. Ce n'est que depuis quelques années que des historiens
et des militants associatifs ont exhumé ces événements
tragiques, et que des plaques commémoratives rappellent que
des camps d'internement pour nomades ont existé en France.
(1) Le nomadisme des Tsiganes
a toujours été combattu par les autorités françaises
qui l'ont identifié comme le principal obstacle à leur
intégration dans la société française.
La loi du 16 juillet 1912 sur l'exercice des professions ambulantes
et la circulation des nomades a permis d'identifier et de surveiller
les Tsiganes non sédentaires en les dotant d'une pièce
d'identité spéciale, le carnet anthropométrique.
Toutes les mesures anti-tsiganes qui ont été prises
en France tant par les autorités françaises que par
les autorités allemandes définissaient les Tsiganes
comme les porteurs du carnet anthropométrique. Les Tsiganes
sédentarisés et par conséquent non identifiés
comme tels n'ont pas été inquiétés.

Le
projet est parrainé par le cinéaste Tony Gatlif
Il est encadré par un comité scientifique composé
dhistoriens : Henriette Asséo, Emmanuel Filhol, Marie
Christine Hubert, Alain Reyniers, Jacques Sigot
Il est porté par un comité dorganisation composé
des associations suivantes : ANGVC (Association Nationale des
Gens du Voyage Catholiques) / ASNIT (Association Sociale Nationale
Internationale Tzigane) / FNASAT-Gens du voyage (Fédération
Nationale des Associations Solidaires d'Action avec les Tsiganes
et les Gens du voyage) / LDH (Ligue des Droits de l'Homme) / MRAP
(Mouvement contre le Racisme et pour l'Amitié entre les
Peuples) / Romani Art / UFAT (Union Française des Associations
Tsiganes) - Nous
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